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Générations sous influence ?

Bien que nous soyons bombardés depuis l’enfance par des millions de messages publicitaires, comprenons-nous pour autant les stratégies des marques ? Les jeunes consommateurs sont-ils les victimes consentantes que certains décrivent ? Julien Intartaglia, docteur en Sciences de l’information et professeur à la HEG Arc Neuchâtel, s’est penché sur la question.

La place de l’enfant dans la publicité est indissociable de celle qu’il a acquise dans la société. Objet de tous les désirs, son pouvoir de prescription est d’autant plus fort qu’il est devenu rare et qu’il vit dans un cercle familial de plus en plus restreint. Les marques ont vite compris que le fait de s’adresser directement à lui leur permet d’influencer le comportement de consommation de toute sa famille. Mais de là à le considérer comme un consommateur à part entière, il y a un pas que l’auteur de Génération Pub franchit sans hésiter : « Les enfants entre 8 et 18 ans disposent d’un pouvoir d’achat estimé à 1,5 milliard d’euros*. »
L’enfant est en contact avec les marques tout au long de son processus de développement. Un apprentissage qu’il fait généralement en solo devant un écran. Pour les tout-petits, la télévision et surtout Internet, grâce aux tablettes, tiennent place de baby-sitter. Les petits Italiens passent 2h49 par jour devant des programmes télévisuels, contre 1h33 pour les Allemands. On estime que les jeunes Français restent scotchés 1200 heures par an devant une télévision, un ordinateur, une console ou un mobile (à comparer avec leurs 900 heures d’école).
Une telle exposition génère une extraordinaire connaissance des marques, mais les enfants sont-ils pour autant des experts ès consommation ? « Il existe deux types d’apprentissage, explique Julien Intartaglia : l’explicite, qui suppose que les parents transmettent des informations sur la consommation, les marques, le prix et la publicité, et l’implicite, qui suggère que l’exposition répétée à des contenus liés à la consommation rend le traitement de ces connaissances automatiques. »

Des médias traditionnels au virtuel
Pour les médias, l’enfant est passé du statut de sujet passif à celui de partenaire indispensable sur les réseaux sociaux, où il est chargé de véhiculer les tendances. « La science, c’est que les parents apprennent aux enfants et la technologie, c’est ce que les enfants apprennent aux parents », écrit le philosophe Michel Serres. On ne saurait dire plus vrai ! Après la télécommande, l’enfant reçoit un mobile (sécurité oblige) et exige de créer un compte Instagram et Snapchat (indispensable pour sa sociabilité) avant de recevoir son argent de poche sur une carte bancaire. Le rapport s’inverse et ce sont les parents qui deviennent les amis de leurs enfants.

85% des 14-24 ans considèrent le shopping comme une activité importante dans leurs loisirs. Comme le décrit cet ouvrage, le rituel de consommation des jeunes (10 à 18 ans) passe par six étapes : la prise de rendez-vous online, le point de rencontre avant le shopping, la visite des magasins, l’essai des produits, la confrontation avec son réseau, et le contrôle du prix. Ce n’est qu’après que l’acte d’achat est possible. On comprend dès lors l’intérêt pour les marques du « frictionless ». Car s’il faut encore rajouter les étapes d’attente à une caisse, l’insertion de la carte de crédit et l’emballage, on risque de décourager les bonnes volontés. Et si consommer est un acte social à cet âge, alors le processus de paiement doit apparaître comme un jeu. Apple a bien compris cet enjeu en intégrant le e-paiement dans sa iWatch.

Confronté à un tel environnement, le mineur est-il en danger ? Cette question intéresse particulièrement les chercheurs en sciences sociales et notamment Julien Intartaglia. « Ma démarche avec ce livre n’est pas de pointer les marques du doigt. Leurs stratégies et procédés publicitaires sont clairs. La balle est dans le camp des adultes. Alors que nous apprenons à nos enfants à se protéger des dangers de la route, nous ne faisons rien pour décrypter l’envers du décor des messages commerciaux. La publicité fait partie de leur monde ; avec le développement des messages contextuels, de la réalité augmentée et des techniques de marketing prédictif, cette formation va devenir essentielle, tant la confusion entre information et contenus commerciaux va s’accroître. »

Générations Pub, Julien Intartaglia, Edition De Boeck, 2014

*Etude Consojunior 2004

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